Compte rendu d'une
Résidence informelle au Théâtre de l'Éphémère,
compagnie sise au théâtre Scarron, place des Jacobins, au Mans.
Cette aventure est née d'un désir. Désir éveillé par la lumière du petit bar mezzanine sur les visages qui y rodent.
Désir de photographe, de voyeur – d'artiste, en somme – dont je fais part spontanément (au moment même où ce désir surgit) à Stéphane Hulot, directeur technique.
Très vite, il me propose une carte blanche pour la saison 2018/19.
Entendons-nous bien ; carte blanche : vierge de toute attente, blancheur qui n'attend que mes mains sales pour y laisser quelques traces.
J'y ferai donc ce qui me plaît, où je veux, quand je veux, avec les moyens dont je dispose : aucun dispositif programmatique (pas de sociologie locale – cela tombe bien , je ne suis pas sociologue –, pas d'élément extérieur à l'art, etc.), aucune obligation de résultat.
Je suis invité dans ce théâtre, dans cette machine dédiée à la création, à être ce que je suis, c'est à dire un artiste, comme à la maison.
Ce n'est pas un pur hasard ni une fantaisie de l'époque si Degas et Lautrec sont amateurs des salles de théâtre, de l'intimité du théâtre. Le théâtre, lieu public, permet aux artistes d'y être artistes, sans gêne, sans retenue, avec autorité parce que autorisés, par le lieu et par ses fonctions (autant dire que ces lieux de création et de diffusion nous sont indispensables).
Je glisse donc de mon atelier, petite boite souterraine et sombre, dans la grande boite noire du théâtre, qui sera, cette année, une luxueuse annexe.
Instinctivement je m'engouffre dans l'avant et l'après ; dans « l'un peu trop tôt, l'un peu trop tard » : quand le théâtre fait son théâtre – pour lui-même.
Dans ces temps-la, rien n'est escamoté, la matière est signifiante : la moindre modulation d'éclairage change la perception et le sens, le temps se disloque, se contracte, se dilate parce que, là encore, on aura déplacé un corps, une chaise, un pendrillon. Nous assistons à des temps où l'art se fait, où l'art s’examine.
Quoi de mieux que d'assister à une représentation sur un palier d'immeuble, comme il en existe des milliers, pour appréhender ces phénomènes théâtraux, qui mettent en exergue l'acte créatif, concrètement. Dès que l'équipe de l'Éphémère installe un matériel minimal et modeste (une lampe, une chaise...), c'est d'un coup tout l'immeuble qui se théâtralise, plus précisément se révèle le théâtre contenu, pré-existant dans cet immeuble.
La puissance d'investissement du théâtre des êtres et des objets devient palpable, énergique.
Je prends des notes écrites et photographiques, fasciné, naïf (ou presque).
Certaines images sont des photographies, pleinement suffisantes pour elles-mêmes. D'autres sont de la matière première qui ne demandent qu'à être manipulées, retranscrites : elles donnent naissance à des dessins (fusain, craie, pierre noire, pastels secs sur papier 69x100cm) qui s'apparentent à l'illustration. Certains de ces dessins, à leur tour, invitent à une autre transformation : ils deviennent affiches numériques où la typographie joue comme une image, affiches sans commanditaire, poétiques.
Enfin, passant de la photographie au dessin, le dessin-objet s’intègre parfois à des installations éphémères qui aboutissent à un nouveau travail photographique. Baroque, je trouve des boucles et des spirales sans fin.
Un élément important, celui qui a permis ce travail : le temps – lenteur possible, temps non compté, nécessaire assiduité – denrée rare est précieuse.
Pour conclure momentanément ce travail, une exposition/installation semble s'imposer, où photographies, dessins, affiches s'y côtoient, s’émoustillent les uns les autres, s’excitent mutuellement.
Ce temps d'exposition est bien entendu une étape de création, au même titre que ce que je viens d'effleurer – le temps de la représentation, le temps anxiogène et magique du public invité, retrouvé.